dimanche 22 juin 2014

En voyage en Europe



Oslo


En voyage en Europe
Depuis dimanche je suis en voyage. Parti dimanche après les Messes, je suis arrivé à Bangui le soir, pour partir avec l’avion lundi matin, direction Douala (Cameroun). Le soir je pars pour Paris, et vers 12h 30 j’arrive à Oslo, en Norvège.
Ici le Centre pour le Dialogue Humanitaire organise chaque année un Forum qui réunit les médiateurs : une centaine de personnes de tous les coins du monde, qui essayent de trouver pacifiquement des solutions pacifiques aux différents conflits qui pèsent sur les nations. C’est impressionnant voir comment le monde semble courir vers sa destruction, mais il est aussi beau de voir combine de monde travaille, souvent silencieusement, pour chercher  et bâtir la paix !
Pendant deux nous nous travaillons en groupe et avec des rencontres thématiques. Nous avons aussi de gens de haut niveau : Kofi Annan, Jimmy Carter…
Le jeudi c’est le moment de la Centrafrique. Je suis à coté de Mme la Présidente, Catherine Samba Panza, et nous essayons de présenter la situation, et je parle beaucoup de l’expérience de Bozoum.
Vendredi 20 je reprends la route, et en fin de matinée j’arrive à Genève. Ici je trouve Floriana Polito de Caritas Internationalis, Albert Hengelaar de l’Alliance Evangélique Mondiale, Fabio de la Communauté Jean XXIII, Béatrice de Cordaid, et l’évêque de Bossangoa, en RCA.
Dans l’après-midi, dans une grande salle des Nations Unies, nous présentons la Centrafrique à un public très attentif. Avec nous il y a aussi le Nonce Apostolique, l’Experte nommée par les Nations Unies pour les Droits de l’Homme en Centrafrique, Mme Keita Bocoum, et  M. Slimane Chikh, Observateur Permanent de l’Organisation de Coopération Islamique.
Ici, mon intervention : 


Excellences, 
Mesdames, Messieurs,

D’abord, permettez-moi de remercier tous ceux qui m’ont permis de venir participer à cette rencontre de prestige, en particulier le Caritas Internationalis, l’Alliance Evangélique Mondiale et la Mission Permanente du Saint-Siège.
Je suis convaincu que là où surgissent des conflits, nous avons non seulement vocation à porter notre attention, mais aussi de faire tout notre possible pour arrêter les belligérants. Sinon, les fractures peuvent se propager et défigurer des pays entiers, en les sombrant dans la violence et dans la haine, et risquent de s’étendre  aussi aux pays voisins et à la région même. Et c’est le cas en particulier de la Centrafrique !
Je ne suis qu’un simple prêtre, et en tant que prêtre, je me sens profondément impliqué   quand il y a des gens qui souffrent.
Ces dernières années m’ont projeté sur les devant de la scène et j’ai dû plusieurs fois négocier avec des gens armés, bandits ou rebelles.

Ces derniers mois, j’ai saisi le cruel engrenage des  conflits ethniques et communautaires. Cet engrenage qui fait fuir a population locale, qui sème la terreur, et ceci avec une telle rapidité, que la communauté internationale, même si elle agit avec célérité et autorité, arrive tard. Beaucoup trop tard pour aider les gens désarmés. Il se peut, au contraire, que la communauté internationale vient juste à temps pour stabiliser un état de fait qui vient d’être imposé par les différents groupes de rebelles.  

Permettez-moi maintenant d’esquisser en quelques mots ce qui se passe en RCA. Pays riche en ressources naturelles et humaines, mais néanmoins parmi les plus pauvres du monde. Pays dans lequel les autorités civiles, les militaires et les forces de l’ordre fuient chaque fois que la tension monte. Pays avec une  société où le tissu a été déchiré par le dernier conflit avec une invasion dans un premier temps et une réaction en suite, qui ont causé l’éclatement d’une cohabitation entre musulmans et non musulmans qui, jusqu’avant l’arrivée de la Seleka, ne posait aucun problème. Pays où des centaines de milliers de personnes ont été forcé à fuir leur domicile et qui, de par la peur des pillages incessants, des violences, des armes  ne peuvent pas retrouver le chemin de retour. Tout ceci a des répercussions énormes sur l’économie locale. Ainsi se propagent le paludisme, le SIDA, la malnutrition, la déscolarisation des enfants, le phénomène des enfants soldats, les viols etc . Et ce conflit violent, dans un coin perdu de l’Afrique, a pris du temps pour attirer l’attention de la communauté internationale.
Mais ce qui s’est passé était prévisible. Et certains ont vu, prévu et agi pour essayer de contrer cette crise. C’est le cas notamment des leaders religieux, qui depuis décembre 2012 ont compris et commencé à travailler pour éviter la guerre. Catholiques, Protestants et Musulmans  ont constitué une plateforme interreligieuse, ils ont réfléchi et ils ont commencé à sillonner le pays, et à dénoncer les violences et les risques que tout cela comportait.
L’expérience de la plateforme s’est étendue à plusieurs parties du pays. Un peu partout chrétiens et musulmans ont commencé à se rencontrer,  à veiller  et œuvrer pour que les hommes et femmes du pays bâtissent ensemble la Paix. Ces plateformes locales sont tantôt spontanées (Bossemptele, Bozoum), tantot plus organisées et structurées (Bouar, Bocaranga…).
Ce n’est pas par hasard que des milliers de musulmans ont trouvé refuge dans les Missions Catholiques (comme à Carnot, Baoro, Boali, Yaloke, Bangui…).
Dans le cadre de la crise de la Centrafrique en 2013 et 2014, Bozoum représente un cas particulier parce qu’il montre comment faire face à un conflit en impliquant toutes les parties (Seleka, anti-balaka, la communauté civile : chrétiens et musulmans) dans une démarche de médiation et de prise en charge des problèmes.
La crise, qui avait déjà éclaté en mars 2013 avec l’arrivée des rebelles de la Seleka (une coalition de rebelles provenant en grande partie du Tchad, du Soudan et du Nord de la Centrafrique), s’est aggravée suite aux affrontements entre Seleka et Antibalaka, depuis le 6 décembre 2013, qui ont causé la fuite  des gens qui se sont réfugiées en brousse ou à la Mission Catholique, où entre 4 et 6 mille personnes ont vécu pendant un mois et demi. Cette crise a été affrontée avec courage par certains éléments de la société civile : un prêtre catholique, un pasteur protestant, 2 imams musulmans, le secrétaire de la Préfecture, un cadre de l’Education, des jeunes, des femmes : bref : des hommes et des femmes de bonne volonté.
La démarche entreprise, axée sur la vérité et une attribution claire des responsabilités, a permis dans un premier temps d’atténuer les violences commises par la Seleka et en  suite – dès décembre – a amené au départ de la Seleka.
Malheureusement, cette démarche n’a pas pu éviter le départ des civils musulmans ; elle a, par contre, permis de limiter les dégâts : si lors des premières attaques des anti-balaka les Seleka ont tué plus de 130 personnes – dont la plupart des civils – et brulé plus de 1400 maisons, après le départ de la Seleka, il n’y a eu que deux morts, dont un musulman.
L’implication de la société civile représente un des atouts de cette expérience.
La défaillance de l’Etat est très forte partout, et surtout dans les Provinces : le Préfet de Bozoum est absent depuis le 8 décembre, et depuis sa nomination il y a un an il n’a fait que 3 semaines sur place... Il n’y a pratiquement pas de Gendarmerie ni de Police, et en général l’autorité des fonctionnaires et des forces de l’ordre est nulle après leur fuite régulière toutes les fois qu’il y a des rumeurs de menaces…
Petit à petit un Comité de médiation s’est mis en place. Il s’agit de femmes et hommes de bonne volonté, qui ont pris le courage pour essayer une médiation. Réunions avec les Seleka, avec les antibalaka, avec la population… Cette démarche, qui date de décembre 2013 avec le départ de la Seleka a assuré un rôle précieux avec l’initiative des réunions journalières : chaque jour à 8h le Comité siège, avec aussi les militaires de la MISCA, pour analyser la situation sécuritaire et prendre des décisions. A ces réunions les antibalaka, malgré leur présence en ville, ne sont pas admis régulièrement, pour ne pas leur donner un rôle officiel. Ils sont souvent accueillis quand ils ont des questions à poser.  Ce Comité a mis en place un NUMERO VERT pour signaler les violences, et un Comité de Sages pour régler les problèmes que, à cause de l’absence du Tribunal et du personnel, risquaient d’être confié aux groupes armés.
Je crois qu’un des éléments qui ont permis un certain succès c’est l’AUTORITE réelle (faite de confiance et de courage) dont les  membres du Comité ont fait preuve. Des hommes et de femmes qui ont pris de risques (moi-même j’ai reçu des gifles, des pierres, des tirs avec le kalachnikov) et  qui ont bien claire l’objectif de leur action, c’est-à-dire la Paix,  mais qui ont aussi conscience de leur dignité et des limites et bornes à ne pas dépasser :  la dignité humaine, le respect dû à chaque personne. J’aime bien attirer l’attention sur le rôle joué par les femmes : ils ont eu beaucoup plus de courage que les hommes !
Cette œuvre de médiation a permis également la réouverture de toutes les écoles dans un rayon de 70 km (une cinquantaine d’écoles et 8000 élèves présents en mars) et la distribution de semences, grâce à l’appui des ONG.
Le rôle des militaires de l’Union Africaine et de la Misca a été en même temps positif et négatif. Positif quand ils se sont mis à l’écoute et ont collaboré à cette démarche de médiation. Négatif quand ils n’ont pas collaboré, en laissant parfois seule et sans protection la population (moi-même,  quand ils voulaient quitter la ville sans se soucier de la réaction de la Seleka, j’ai dû les menacer de garer ma voiture sur un pont pour en empêcher le départ…).
Le rôle de l’Etat est encore très faible, et il doit faire face à une crise profonde, qui date depuis longtemps : un pays qui n’a jamais bâti une écoles avec ses fonds propres, a du chemin à faire .
Cette crise n’a pas commencé seulement en décembre 2012 : c’est le résultat d’erreurs et de problèmes qui n’ont jamais été résolus. Si nous voulons que la RCA se relève, il faudra une réflexion profonde et des changements réels sur la démocratie, la corruption, l’éducation, la justice….
Le rôle de la Communauté internationale est fondamental. Un pays pauvre, avec peu d’habitants, mais riche en ressources naturelles, risque d’être la proie des pays voisins, et le dérapage récent peut faire de la RCA un carrefour pour les fondamentalismes et le terrorisme : Boko Haram et al-Qaeda sont de plus en plus proches… Décider une intervention des Nations Unies en avril, et la programmer pour septembre, ça nous semble trop long ! Merci à la Communauté internationale  qui  s’engage en RCA, merci aux Nations Unies, à l’Union Africaine, à l’Union Européenne,  à la France, mais il faut faire vite, il faut faire mieux, il faut faire plus !
Jusqu’à maintenant la Communauté Internationale n’a pas réussi à faire changer les choses : aucun désarmement sérieux n’a été mis en place, et la partition du pays risque de devenir une réalité. A mon humble avis, il faut plus d’écoute : un écoute non seulement à niveau « haut » (Présidents, Gouvernements etc) mais SURTOUT de ceux qui agissent concrètement sur le terrain : une poignée d’hommes et de femmes ont pu empêcher à plus d’un millier de rebelles de détruire complètement Bozoum. D’autres, comme l’Archevêque de Bangui, Dieudonné Nzapalainga, l’Imam Kobine Layama et  le pasteur Guerékoyamé, avec la plateforme des leader religieux, depuis décembre 2012 sillonnent le pays pour apporter leur contribution. Il serait peut être intéressant de les écouter et d’appuyer leur travail  !
Il ne faut pas non plus oublier le rôle des médias et d’Internet en particulier, qui représente un outil exceptionnel pour informer et faire passer les nouvelles. A travers les mails, le blog, les réseaux sociaux nous avons tissé des liens qui sont précieux, et qui peuvent faire changer les choses.
En guise de conclusion,  permettez-moi de partager ce que je ressens.
Je me pose souvent la question de quoi avons-nous besoin le plus.
Est-ce l’argent? Non, même si cela est si important, vu les besoins innombrables de la population et pour garantir l’aide humanitaire.
Est-ce plus de Forces militaires ? Peut être. Ils peuvent assurer la sécurité du pays, mais ce n’est qu’une solution temporaire.
Ce qui est plus important a’ mon avis, c’est la reconstruction des cœurs : donc école, formations, information.
Nous avons besoin aussi d’un savoir-faire. Il y a des gens de bonne volonté. Mais la bonne volonté n’est pas toujours suffisante ! Nous avons besoin de connaitre d’autres expériences,  de nous inspirer de ce qui marche et ce qui a réussi. Nous avons besoin de comprendre ce qui a amené un pays dans ce gouffre, de connaitre et de reconnaitre les erreurs du passé, mais aussi d’analyser la situation, pour pouvoir inventer et créer un futur de Paix.

Parce qu’un futur de Paix est possible. Ce lieu, les Nations Unies, est né parce que des hommes et des femmes, après la 2è Guerre Mondiale, ont compris  « qu’il faut plus de courage pour faire la Paix que pour faire la guerre  et ils ont fait l’impossible pour rendre possibles les  rêves de Paix. 
Avec nos efforts, avec le soutien des femmes et des hommes de bonne volonté, avec la force de Dieu nous pouvons y parvenir.

Merci pour  votre attention.







La Cathédrale de Oslo




Le débat sur la Centrafrique, avec Mme la Présidente



A Genève

A Genève

Avec M. Slimane Chikh, Observateur Permanent de l’Organisation de Coopération Islamique.

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