Oslo |
En voyage en Europe
Depuis dimanche
je suis en voyage. Parti dimanche après les Messes, je suis arrivé à Bangui le
soir, pour partir avec l’avion lundi matin, direction Douala (Cameroun). Le
soir je pars pour Paris, et vers 12h 30 j’arrive à Oslo, en Norvège.
Ici le Centre
pour le Dialogue Humanitaire organise chaque année un Forum qui réunit les
médiateurs : une centaine de personnes de tous les coins du monde, qui
essayent de trouver pacifiquement des solutions pacifiques aux différents conflits
qui pèsent sur les nations. C’est impressionnant voir comment le monde semble
courir vers sa destruction, mais il est aussi beau de voir combine de monde
travaille, souvent silencieusement, pour chercher et bâtir la paix !
Pendant deux nous
nous travaillons en groupe et avec des rencontres thématiques. Nous avons aussi
de gens de haut niveau : Kofi Annan, Jimmy Carter…
Le jeudi c’est le
moment de la Centrafrique. Je suis à coté de Mme la Présidente, Catherine Samba
Panza, et nous essayons de présenter la situation, et je parle beaucoup de l’expérience
de Bozoum.
Vendredi 20 je
reprends la route, et en fin de matinée j’arrive à Genève. Ici je trouve
Floriana Polito de Caritas Internationalis, Albert Hengelaar de l’Alliance
Evangélique Mondiale, Fabio de la Communauté Jean XXIII, Béatrice de Cordaid,
et l’évêque de Bossangoa, en RCA.
Dans l’après-midi,
dans une grande salle des Nations Unies, nous présentons la Centrafrique à un
public très attentif. Avec nous il y a aussi le Nonce Apostolique, l’Experte nommée
par les Nations Unies pour les Droits de l’Homme en Centrafrique, Mme Keita
Bocoum, et M. Slimane Chikh, Observateur
Permanent de l’Organisation de Coopération Islamique.
Ici, mon
intervention :
Excellences,
Mesdames, Messieurs,
D’abord, permettez-moi de remercier tous ceux qui
m’ont permis de venir participer à cette rencontre de prestige, en particulier
le Caritas Internationalis, l’Alliance
Evangélique Mondiale et la Mission Permanente du Saint-Siège.
Je suis convaincu que là où surgissent des conflits,
nous avons non seulement vocation à porter notre attention, mais aussi de faire
tout notre possible pour arrêter les belligérants. Sinon, les fractures peuvent
se propager et défigurer des pays entiers, en les sombrant dans la violence et
dans la haine, et risquent de s’étendre
aussi aux pays voisins et à la région même. Et c’est le cas en
particulier de la Centrafrique !
Je ne suis qu’un simple prêtre, et en tant que prêtre,
je me sens profondément impliqué quand
il y a des gens qui souffrent.
Ces dernières années m’ont projeté sur les devant de
la scène et j’ai dû plusieurs fois négocier avec des gens armés, bandits ou
rebelles.
Ces derniers mois, j’ai saisi le cruel engrenage
des conflits ethniques et communautaires. Cet engrenage qui fait fuir a
population locale, qui sème la terreur, et ceci avec une telle rapidité, que la
communauté internationale, même si elle agit avec célérité et autorité, arrive
tard. Beaucoup trop tard pour aider les gens désarmés. Il se peut, au contraire,
que la communauté internationale vient juste à temps pour stabiliser un état de
fait qui vient d’être imposé par les différents groupes de rebelles.
Permettez-moi maintenant d’esquisser en quelques mots
ce qui se passe en RCA. Pays riche en ressources naturelles et humaines, mais
néanmoins parmi les plus pauvres du monde. Pays dans lequel les autorités
civiles, les militaires et les forces de l’ordre fuient chaque fois que la
tension monte. Pays avec une société où
le tissu a été déchiré par le dernier conflit avec une invasion dans un premier
temps et une réaction en suite, qui ont causé l’éclatement d’une cohabitation
entre musulmans et non musulmans qui, jusqu’avant l’arrivée de la Seleka, ne
posait aucun problème. Pays où des centaines de milliers de personnes ont été
forcé à fuir leur domicile et qui, de par la peur des pillages incessants, des
violences, des armes ne peuvent pas
retrouver le chemin de retour. Tout ceci a des répercussions énormes sur
l’économie locale. Ainsi se propagent le paludisme, le SIDA, la malnutrition,
la déscolarisation des enfants, le phénomène des enfants soldats, les viols etc
. Et ce conflit violent, dans un coin perdu de l’Afrique, a pris du temps pour
attirer l’attention de la communauté internationale.
Mais ce qui s’est passé était prévisible. Et certains
ont vu, prévu et agi pour essayer de contrer cette crise. C’est le cas
notamment des leaders religieux, qui depuis décembre 2012 ont compris et
commencé à travailler pour éviter la guerre. Catholiques, Protestants et
Musulmans ont constitué une plateforme interreligieuse, ils ont
réfléchi et ils ont commencé à sillonner le pays, et à dénoncer les violences
et les risques que tout cela comportait.
L’expérience de la plateforme s’est étendue à
plusieurs parties du pays. Un peu partout chrétiens et musulmans ont commencé à
se rencontrer, à veiller et œuvrer pour que les hommes et femmes du
pays bâtissent ensemble la Paix. Ces
plateformes locales sont tantôt spontanées (Bossemptele, Bozoum), tantot plus
organisées et structurées (Bouar, Bocaranga…).
Ce n’est pas par hasard que des milliers de musulmans
ont trouvé refuge dans les Missions Catholiques (comme à Carnot, Baoro, Boali,
Yaloke, Bangui…).
Dans le cadre de la crise de la Centrafrique en
2013 et 2014, Bozoum représente un cas particulier parce qu’il montre comment
faire face à un conflit en impliquant toutes les parties (Seleka, anti-balaka,
la communauté civile : chrétiens et musulmans) dans une démarche de
médiation et de prise en charge des problèmes.
La crise, qui avait déjà éclaté en mars 2013 avec
l’arrivée des rebelles de la Seleka (une coalition de rebelles provenant en
grande partie du Tchad, du Soudan et du Nord de la Centrafrique), s’est
aggravée suite aux affrontements entre Seleka et Antibalaka, depuis le 6
décembre 2013, qui ont causé la fuite
des gens qui se sont réfugiées en brousse ou à la Mission Catholique, où
entre 4 et 6 mille personnes ont vécu pendant un mois et demi. Cette crise a
été affrontée avec courage par certains éléments de la société civile : un
prêtre catholique, un pasteur protestant, 2 imams musulmans, le secrétaire de
la Préfecture, un cadre de l’Education, des jeunes, des femmes :
bref : des hommes et des femmes de bonne volonté.
La démarche entreprise, axée sur la vérité et une
attribution claire des responsabilités, a permis dans un premier temps
d’atténuer les violences commises par la Seleka et en suite – dès décembre – a amené au départ de
la Seleka.
Malheureusement, cette démarche n’a pas pu éviter
le départ des civils musulmans ; elle a, par contre, permis de limiter les
dégâts : si lors des premières attaques des anti-balaka les Seleka ont tué
plus de 130 personnes – dont la plupart des civils – et brulé plus de 1400
maisons, après le départ de la Seleka, il n’y a eu que deux morts, dont un
musulman.
L’implication de la société civile représente un des atouts de cette
expérience.
La défaillance
de l’Etat est très forte partout, et surtout dans les Provinces : le
Préfet de Bozoum est absent depuis le 8 décembre, et depuis sa nomination il y
a un an il n’a fait que 3 semaines sur place... Il n’y a pratiquement pas de
Gendarmerie ni de Police, et en général l’autorité des fonctionnaires et des
forces de l’ordre est nulle après leur fuite régulière toutes les fois qu’il y
a des rumeurs de menaces…
Petit à petit un Comité de médiation s’est mis en place. Il s’agit de femmes et
hommes de bonne volonté, qui ont pris le courage pour essayer une médiation.
Réunions avec les Seleka, avec les antibalaka, avec la population… Cette
démarche, qui date de décembre 2013 avec le départ de la Seleka a assuré un
rôle précieux avec l’initiative des réunions
journalières : chaque jour à 8h le Comité siège, avec aussi les
militaires de la MISCA, pour analyser la situation sécuritaire et prendre des
décisions. A ces réunions les antibalaka, malgré leur présence en ville, ne
sont pas admis régulièrement, pour ne pas leur donner un rôle officiel. Ils
sont souvent accueillis quand ils ont des questions à poser. Ce Comité a mis en place un NUMERO VERT pour
signaler les violences, et un Comité de Sages pour régler les problèmes que, à
cause de l’absence du Tribunal et du personnel, risquaient d’être confié aux
groupes armés.
Je crois qu’un des éléments qui ont permis un
certain succès c’est l’AUTORITE réelle (faite de confiance et de courage) dont
les membres du Comité ont fait preuve.
Des hommes et de femmes qui ont pris de risques (moi-même j’ai reçu des gifles,
des pierres, des tirs avec le kalachnikov) et
qui ont bien claire l’objectif de leur action, c’est-à-dire la
Paix, mais qui ont aussi conscience de
leur dignité et des limites et bornes à ne pas dépasser : la dignité humaine, le respect dû à chaque personne.
J’aime bien attirer l’attention sur le rôle joué par les femmes : ils ont
eu beaucoup plus de courage que les hommes !
Cette œuvre de médiation a permis également la
réouverture de toutes les écoles dans un rayon de 70 km (une cinquantaine
d’écoles et 8000 élèves présents en mars) et la distribution de semences, grâce
à l’appui des ONG.
Le rôle des militaires de l’Union Africaine et de
la Misca a été en même temps positif et négatif. Positif quand ils se sont mis à l’écoute et ont collaboré à cette
démarche de médiation. Négatif quand
ils n’ont pas collaboré, en laissant parfois seule et sans protection la
population (moi-même, quand ils
voulaient quitter la ville sans se soucier de la réaction de la Seleka, j’ai dû
les menacer de garer ma voiture sur un pont pour en empêcher le départ…).
Le rôle de l’Etat est encore très faible, et il
doit faire face à une crise profonde, qui date depuis longtemps : un pays
qui n’a jamais bâti une écoles avec ses fonds propres, a du chemin à faire.
Cette crise n’a pas commencé seulement en décembre
2012 : c’est le résultat d’erreurs et de problèmes qui n’ont jamais été
résolus. Si nous voulons que la RCA se relève, il faudra une réflexion profonde
et des changements réels sur la démocratie, la corruption, l’éducation, la
justice….
Le rôle de la Communauté internationale est
fondamental. Un pays pauvre, avec peu d’habitants, mais riche en ressources
naturelles, risque d’être la proie des pays voisins, et le dérapage récent peut
faire de la RCA un carrefour pour les fondamentalismes et le terrorisme :
Boko Haram et al-Qaeda sont de plus en plus proches… Décider une intervention
des Nations Unies en avril, et la programmer pour septembre, ça nous semble
trop long ! Merci à la Communauté internationale qui
s’engage en RCA, merci aux Nations Unies, à l’Union Africaine, à l’Union
Européenne, à la France, mais il faut
faire vite, il faut faire mieux, il faut faire plus !
Jusqu’à maintenant la Communauté Internationale
n’a pas réussi à faire changer les choses : aucun désarmement sérieux n’a
été mis en place, et la partition du pays risque de devenir une réalité. A mon
humble avis, il faut plus d’écoute : un écoute non seulement à niveau
« haut » (Présidents, Gouvernements etc) mais SURTOUT de ceux qui
agissent concrètement sur le terrain : une poignée d’hommes et de femmes
ont pu empêcher à plus d’un millier de rebelles de détruire complètement
Bozoum. D’autres, comme l’Archevêque de Bangui, Dieudonné Nzapalainga, l’Imam Kobine
Layama et le pasteur Guerékoyamé,
avec la plateforme des leader religieux, depuis décembre 2012 sillonnent le
pays pour apporter leur contribution. Il serait peut être intéressant de les
écouter et d’appuyer leur travail !
Il ne faut pas non plus oublier
le rôle des médias et d’Internet en particulier, qui représente un outil
exceptionnel pour informer et faire passer les nouvelles. A travers les mails,
le blog, les réseaux sociaux nous avons tissé des liens qui sont précieux, et
qui peuvent faire changer les choses.
En guise de conclusion, permettez-moi de
partager ce que je ressens.
Je me pose souvent la question de quoi avons-nous
besoin le plus.
Est-ce l’argent? Non, même si cela est si important, vu les besoins innombrables de la population et pour garantir l’aide humanitaire.
Est-ce l’argent? Non, même si cela est si important, vu les besoins innombrables de la population et pour garantir l’aide humanitaire.
Est-ce plus de Forces militaires ? Peut être. Ils
peuvent assurer la sécurité du pays, mais ce n’est qu’une solution temporaire.
Ce qui est plus important a’ mon avis, c’est la
reconstruction des cœurs : donc école, formations, information.
Nous avons besoin aussi d’un savoir-faire. Il y a des
gens de bonne volonté. Mais la bonne volonté n’est pas toujours
suffisante ! Nous avons besoin de connaitre d’autres expériences, de nous inspirer de ce qui marche et ce qui a
réussi. Nous avons besoin de comprendre ce qui a amené un pays dans ce
gouffre, de connaitre et de reconnaitre les erreurs du passé, mais aussi
d’analyser la situation, pour pouvoir inventer et créer un futur de Paix.
Parce qu’un futur de Paix est possible. Ce lieu, les
Nations Unies, est né parce que des hommes et des femmes, après la 2è Guerre
Mondiale, ont compris « qu’il faut
plus de courage pour faire la Paix que pour faire la guerre et ils ont
fait l’impossible pour rendre possibles les
rêves de Paix.
Avec nos efforts, avec le soutien des femmes et des
hommes de bonne volonté, avec la force de Dieu nous pouvons y parvenir.
Merci pour
votre attention.
La Cathédrale de Oslo |
Le débat sur la Centrafrique, avec Mme la Présidente |
A Genève |
A Genève |
Avec M. Slimane Chikh, Observateur Permanent de l’Organisation de Coopération Islamique. |
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